Pierre-Etienne Fournier
Seniors et records : compatibles ? Modifications physiologiques liées à la baisse des performances des sujets âgés
Rev Med Suisse 2012;1838-1840
Résumé
Les résultats d’athlètes seniors ne cessent d’impressionner dans de nombreuses épreuves sportives. Malgré les diminutions de VO2max, de force, de vitesse, de coordination, de capacité de récupération liées à l’âge, un entraînement régulier à intensité suffisante permet de telles performances. Une activité physique régulière est probablement l’intervention la plus efficace, la moins coûteuse, pour lutter contre le vieillissement, son lot de morbidité et de dépendance. Son efficacité dans des populations de patients est de plus en plus régulièrement démontrée.
Introduction
L’intérêt pour les courses d’endurance, voire d’ultra-endurance, ne cesse d’augmenter. Le nombre de seniors participant à ces épreuves s’accroît, avec à la clé des résultats convaincants. L’augmentation de l’espérance de vie, de la qualité de cette dernière permet à des sujets âgés, voire très âgés, de battre des records (21’’69 pour le record du 100 m chez les plus de 95 ans !). A l’opposé, un mode de vie de plus en plus sédentaire est à l’origine d’une morbidité augmentée : obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, qui impliquent urgemment des modifications des habitudes de vie parmi lesquelles l’activité physique joue un rôle prépondérant.
Puissance du moteur ou VO2max, pourcentage de VO2max qui peut être soutenu pour une période donnée, force, vitesse, coordination, économicité du geste sportif, capacités de récupération, consommation de substrats énergétiques et stocks de carburant contribuent à la performance sportive. L’objectif de cette revue est d’apprécier les modifications observées de ces facteurs en fonction de l’âge et de préciser les moyens qui permettent de ralentir cette évolution.
La VO2max et sa fraction d’utilisation sont les facteurs principaux de la diminution de la performance en endurance, observée chez les athlètes masters.
Il existe une corrélation entre le fitness cardiorespiratoire, exprimé par la VO2max, et le fait d’être indépendant. Dans une étude prospective,1 371 personnes âgées de 55 à 86 ans ont été examinées et interrogées. Un test sur tapis roulant a permis de calculer leur VO2max de façon indirecte. Huit ans plus tard, 231 personnes ont été retrouvées et interrogées, 58 étaient décédées. L’âge d’entrée dans l’étude, la présence de maladies intercurrentes et la VO2max étaient les seuls facteurs prédictifs de la perte d’indépendance. Une VO2max au-dessus de la moyenne diminue de 50% le risque de devenir dépendant, le seuil de dépendance était de 15 à 18 ml/kg/min.
La quantification précise de la perte de différents paramètres liée à l’âge est difficile. Un suivi longitudinal est ardu avec de nombreux drop-out, sujets décédés, perdus de vue, ou incapables d’effectuer les tests de contrôle pour raisons somatiques ou cognitives.
Temps de course
Les championnats «Master» permettent d’apprécier les performances en fonction de l’âge. L’analyse de ces résultats comporte de nombreux biais. Les études sont transversales, les sujets sont très bien entraînés et performants dans leur sport spécifique, ceux présentant des maladies chroniques sont écartés. Les masters représentent un modèle de vieillissement avec succès : successfull aging.
Jusqu’à près de 70 ans, les performances pour la course diminuent très progressivement. Entre 45 et 65 ans, cette perte est de l’ordre de 10% par décennie chez l’homme, 14,8% chez la femme par exemple sur un marathon.2 Au-delà de 70 ans, elle est plus importante, devenant significative d’une année à l’autre, prenant un caractère exponentiel.3,4 En pourcentage de perte, elle est plus marquée pour les distances les plus élevées que pour les plus courtes.5 En comparant différents sports, ceux qui impliquent de la force voient leur performance diminuer plus précocement.6
Leyk a répertorié plus de 440 000 temps lors de marathons et semi-marathons. Au contraire des études citées précédemment, il ne s’agissait pas du temps des meilleurs, mais de sportifs de tous niveaux. Les temps de course restent stables de 20 à 50 ans. La diminution des performances, de 50 à 79 ans, est de 0,45% par an chez les hommes et de 0,24% chez les femmes, deux fois moins importante qu’elle ne l’est si on la compare à celle des vainqueurs. Le quart des sujets âgés de 65 à 69 ans finissent leur épreuve avant la moitié de la cohorte 20-54 ans.2,7
Le triathlon permet de comparer différents sports. Il comporte le désavantage de l’enchaînement de différentes activités, avec un possible impact des unes sur les autres. Une diminution significative des performances apparaît plus précocement pour la natation que pour la course à pied ou pour le cyclisme, dès 40, 50 et 59 ans respectivement pour ces trois activités.8 Les effets plus délétères de la course à pied sont expliqués par les dégâts musculaires liés à des activités en concentrique-excentrique alors qu’elles sont concentriques sur un vélo. D’éventuelles lésions orthopédiques, troubles dégénératifs, tendinopathies, peuvent freiner la performance en course. Pour ces motifs, les habitudes d’entraînement peuvent se modifier au profit du vélo, moins délétère, rendant les sujets plus performants dans ce sport.
Le triathlon permet de comparer les distances olympiques à celles, bien plus importantes, d’un Ironman : 1,5 km de natation, 10 de course à pied et 40 de cyclisme, versus 3,8, 42,2 et 180 km afin de juger d’un effet de fatigue. La diminution des performances est plus rapide et plus précoce lors des distances les plus longues pour la course et le cyclisme, au contraire de la natation ; lors de cette épreuve, les sujets les plus âgés pourraient «s’économiser» pour pouvoir supporter la charge de l’épreuve dans son intégralité.9 Lors de trails d’ultra-endurance, les abandons sont plus fréquents parmi les compétiteurs les plus âgés.10
Muscles
Des résultats contradictoires décrivent l’évolution du muscle et de ses propriétés en fonction de l’âge. Le bon fonctionnement d’un muscle dépend de la possibilité de générer puissance, force et endurance.11-13 L’importance de la perte en force varie en fonction du type de mesure (isométrique, isocinétique…). Le suivi longitudinal de sujets âgés met en évidence des modifications plus importantes que celles retenues d’études transversales : la perte de force peut être marquée, 2,56% par an lors de mesure isocinétique pour les extenseurs du genou.13 Avec l’âge, il existe conjointement à l’activation des agonistes une coactivation des antagonistes, dans un but probable de prévention de chute, qui explique en partie une force diminuée. La perte de puissance musculaire est plus importante que celle de la force. Elle est possiblement liée à une baisse de fréquence de décharge des unités motrices à l’origine d’une disparition de fibres rapides. L’appareil contractile serait également altéré, avec une vitesse de raccourcissement moindre.
On décrit classiquement une diminution du pourcentage de fibres rapides ; ceci est discuté. Le résultat de biopsies musculaires peut varier de façon importante, de 32 à 65% pour la répartition des fibres selon le site de prélèvement sur le vaste externe. Le type d’études transversales permettant pour les plus âgés une sélection des meilleurs sujets, le degré d’activité des individus, d’éventuelles affections médicales générales ou locales touchant une articulation de voisinage, influencent grandement les résultats. Des unités motrices sont dénervées par diminution du nombre de motoneurones, celles restantes vont s’hypertrophier, recruter les fibres musculaires dénervées, changeant de la sorte leurs propriétés originelles. A l’intérieur même du muscle, la répartition des fibres selon leur typologie sera modifiée, elle ne sera plus homogène mais par zones de fibres d’un même type.12,13 Cette perte d’innervation est probablement le mécanisme principal de la fonte musculaire liée à l’âge. D’autres éléments y contribuent : diminution de la synthèse protéique, modifications de sécrétions ou de pulsatilités hormonales (testostérone, hormone lutéinisante, hormone de croissance), réponse proliférative amoindrie des cellules satellites à l’insulin-like growth factor-1, cytokines inflammatoires cataboliques telle l’interleukine-6.11,12
VO2
La VO2max est le déterminant principal de la performance en endurance. Elle dépend de facteurs centraux et périphériques. Elle diminue de 10 à 15% par décennie. Cette diminution, si on l’exprime en pour cent des valeurs d’un adulte jeune, est de même ordre que l’on soit sédentaire ou non. Un entraînement physique régulier permet d’atteindre des valeurs de départ plus élevées, reculant le stade de dépendance. L’impact d’une activité ciblée sur le fitness cardiorespiratoire est présent, même à un âge avancé.
Des facteurs centraux (diminution du débit de l’ordre de 20% entre 30 et 60 ans, à la fois par baisse de la fréquence cardiaque maximale et du volume d’éjection (environ 10% pendant la même période pour chacun d’eux)) et périphériques (diminution de l’extraction d’O2 (moins de 10% pendant la même tranche d’âge)) l’expliquent. Des modifications des fonctions mitochondriales, liées entre autres au stress oxydatif secondaire à l’activité physique, pourraient y contribuer.3,14
Économicité du geste
L’économicité de la course est définie comme la consommation d’oxygène à l’état stationnaire (steady state) pour une charge donnée. Si celle-ci est sous-maximale, la relation entre ces deux paramètres est linéaire, elle ne varie pas en fonction de l’âge des sujets. Mobilité articulaire, et par conséquent longueur du pas qui diminue avec l’âge, souplesse ou coordination jouent également un rôle.4,15
Stimulus de l’entraînement
La charge d’entraînement, son intensité sont des facteurs qui ont une influence sur la VO2max. Avec l’âge, en raison d’intérêts familiaux, privés, professionnels, de blessures, de problèmes de santé orthopédiques ou non, les habitudes d’entraînement peuvent se modifier à la baisse. Le sujet plus jeune sera plus à l’affût de records, d’amélioration de performances, alors que chez le sportif plus âgé la notion de sport santé sera possiblement prépondérante. A contrario, dans l’étude de Leyk, la majorité (56%) des marathoniens, âgés de 40-60 ans, s’entraîne depuis moins de sept ans.2
Récupération
Les facultés de récupération sont classiquement décrites comme altérées chez les athlètes âgés. Cette affirmation n’est étayée que par un faible substrat scientifique. Différents paramètres de condition physique, de force, d’économicité de course ont été étudiés avant et après un triathlon.16 Si la plupart des paramètres diminuent dans le contrôle post-effort, la différence n’est pas significative en comparant des sujets d’âges différents. Les auteurs admettent des limites à leur étude, l’âge modeste de leurs masters, 52,4 ans en moyenne, et une durée d’effort, au contraire d’autres études, plus faible ne permettant peut-être pas de mettre en évidence un facteur fatigue significatif et une récupération plus lente.
Les micro-traumatismes répétés générés par certaines activités sportives sont à l’origine de lésions. Il est important de donner au corps des temps de récupération suffisants. Cette affirmation vaut non seulement pour le système musculo-squelettique mais également pour les mécanismes de production énergétique, ainsi que pour le cœur. Une augmentation d’enzymes cardiaques ainsi qu’une dépression de la fonction cardiaque ont été objectivées après des épreuves de longue durée ; ces modifications sont temporaires. Il est possible que la répétition de tels efforts soit néfaste, engendrant à la longue des complications tels une fibrose myocardique ou des troubles du rythme. Nous ne connaissons pas actuellement quelles sont les charges ni la fréquence à laquelle elles peuvent être répétées sans danger à long terme. Des temps de récupération, qui restent à définir, sont indispensables.17
Conclusion
Si l’importance des modifications liées à l’âge n’est pas connue avec précision, l’intérêt d’une activité ciblée permet de contrebalancer les effets délétères de l’âge. Ceci est clairement validé en termes de renforcement musculaire, que l’entraînement vise la force, l’endurance musculaire ou l’explosivité. Une hypertrophie des fibres musculaires, une capillarisation et une capacité oxydative augmentées sont décrites.18,19 Il en va de même pour les capacités d’endurance qui peuvent être maintenues à un bon niveau tard dans la vie. L’intensité de l’entraînement doit être suffisante pour ce maintien. Ces résultats démontrés sur des populations saines pourraient être retrouvés chez des patients après adaptation des protocoles d’activité physique. Une telle approche aurait un impact multisystémique important pour un faible coût.
Implications pratiques
> La diminution des performances liées à l’âge est relativement peu marquée jusqu’à 70 ans
> Un entraînement régulier avec une intensité suffisante permet de rester performant à un âge avancé
> Lors de nombreuses atteintes somatiques, affections respiratoires, cardiaques, rhumatismales ou métaboliques, une activité physique régulière doit faire partie de l’arsenal thérapeutiquea
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Abstract
Results of masters athletes are more and more impressive. With age, VO2max, strength, speed, coordination, recovery decrease. Regular training with enough intensity is the most appropriate, the less expensive measure to prevent morbidity and dependence. It’s efficacy in patients is regularly demonstrated.
Contact auteur(s)
Pierre-Etienne Fournier
Clinique romande de réadaptation Suva-Care
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